La Sibérie occidentale : les bassins de l’Ob et de l’Irtych, du massif de l’Altaï à l’océan glacial arctique. *

Conférence donnée le 18 décembre 2017 par Jean-Noël Salomon professeur honoraire de l’Université de Bordeaux-Montaigne

Cet immense territoire est drainé par deux très grands fleuves à gros débits et dont les bassins versants couvrent plus de 3 000 000 km2.  Ils sont en grande partie responsables de la construction de l’immense plaine sibérienne du fait de leurs inondations gigantesques qui étalent les sédiments. Ces plaines étendues en latitude  sont recouverte essentiellement, du sud au nord, par la steppe, par la taïga (conifères et feuillus) enfin par la toundra aujourd’hui en voie de transformation rapide du fait du réchauffement climatique global (fonte du pergélisol, recul de la toundra, etc.).

Photo 1 – Une coupe de la taïga en bordure de l’Ob. Les  bouleaux sont en bord de rive tandis que les conifères sont en arrière-plan. L’érosion des berges est très importante et très régulière du fait des habituelles débâcles de printemps.

Ce milieu très difficile pour l’homme du fait des températures hivernales, des inondations de printemps, de la présence de moustiques, de la pauvreté générale des sols (podzols) et de la difficulté des communications est pourtant habité depuis fort longtemps. On en trouve des traces d’occupation dès le Néolithique, vers 1 000 ans av J-C, vinrent des peuples nomade, chasseurs, cueilleurs et pêcheurs, puis éleveurs de rennes : Komis, Khantis, Nenets. Dès le XIème siècle, les Russes commencèrent à pénétrer en Sibérie. La véritable conquête fut celle des Cosaques au XVIème siècle, attirés par le commerce des fourrures. Les premiers établissements furent des sites fortifiés à l’instar de Tobolsk (XVIème s) ou d’Omsk fondée au XVIIIème siècle pour se protéger des invasions mongoles

Le tsarisme s’appuyait fortement sur la religion orthodoxe laquelle édifia nombres d’églises et monastères (Abalak au XIIème siècle). Délaissés par l’URSS, ces édifices connaissent un renouveau encouragé (subventions) par le régime actuel. Le luxe des matériaux, omniprésent, confère une certaine splendeur à ces édifices et du prestige au clergé orthodoxe qui y trouve son compte.

Photo 2 – La cathédrale de la Dormition de la Vierge, à Omsk. Ce bâtiment pompeux, édifié en 1896, et coiffé de cinq dômes, avait été détruit à l’époque soviétique. Au début des années 2000, il a été méticuleusement restauré.

Mais c’est surtout la découverte d’énormes gisements d’abord houillers (bassin de la Petchora) mais surtout d’hydrocarbures (Timan-Petchora, Shtokman, Yamal, Stamotlor, Tioumen) qui ont lancé l’économie de la vallée de l’Ob et de ses alentours.

L’exploitation implique un bouleversement: la population autochtone et rurale devient minoritaire au profit des urbains allochtones, et le poids démographique des nouveaux venus du sud devient majoritaire. L’implosion du bloc soviétique a débouché sur une crise socio-économique particulièrement aiguë dans le Grand Nord. Ces contrées productrices y font figures d’oasis de prospérité. Les salaires y sont les plus élevés du pays quoique compensés par des coûts de la vie élevés , et les flux migratoires sont positifs, comme c’est le cas de la plaine de l’Ob.  Les produits les plus exotiques sont vendus dans les magasins.

La ville nouvelle de Khanty-Mansiysk, illustre bien cet eldorado. Fondée en 1930,  elle compte aujourd’hui  100 000 habitants  et une gare fluviale ultra-moderne. Le bassin du grand fleuve est, au cours des dernières décennies, devenu le principal lieu d’extraction d’hydrocarbures de la Russie. D’où une très grande richesse qui lui permet d’accueillir des championnats mondiaux (biathlon, échecs…) richement dotés.

Photo 3 – Un marché de rue à Salekhard (50 000 habitants). Les produits sur ce marché sibérien situé sur le cercle polaire sont surprenants. Même les fruits tropicaux abondent. Ils illustrent une prospérité inhabituelle en Russie.

Mais la transition vers l’activité extractive marque aussi l’étouffement lent des sociétés traditionnelles. Les tensions sont inévitables. Elles portent évidemment sur les conflits d’usage des terres mais aussi sur la difficulté de faire coexister deux communautés avec deux systèmes spatiaux très différents. Le plus ancien est quasi fermé, fondé sur une ruralité et un mode de vie nomade en rapide déclin, les rennes ne trouvant plus assez de pâturages en raison du réchauffement climatique. Le troupeau de la toundra a baissé de moitié en une dizaine d’années ! Mais les jeunes des peuples autochtones sont désormais éduqués (écoles, établissements secondaires avec internats payés par le gouvernement) et ne rêvent que d’Université… Le régime l’a bien compris et favorise cette tendance qui, à terme, conduit à la sédentarisation et apaise les tensions.

Ainsi, la question de la durabilité de ce développement se pose ici de manière aigüe. En effet, ces espaces sont au seuil de la rentabilité en termes de coûts environnementaux et humains dans ces milieux extrêmes. En termes environnementaux, on a beaucoup exagéré l’impact (réel) de l’extraction des hydrocarbures : les effets de résiliences sont très lents (du fait du climat) ; cependant en terme spatial, les zones affectées concernent des étendues dérisoires par rapport aux étendues disponibles. Beaucoup plus inquiétant est le réchauffement climatique : fonte du pergélisol (effets sur les constructions et les infrastructures), et surtout émanation de grosses quantités de méthane – gaz à puissant effet de serre – dans l’atmosphère. Et pour un occidental, la prolifération de milliards de moustiques agressifs !

En fait, tout est inféodé aux cours du pétrole. La chute des cours du pétrole consécutive à l’essor des hydrocarbures  américains (gaz de schiste) et à la situation au Moyen Orient, l’illustre bien.  Déjà en 2008, il y a eu une envolée des cours du brut (> 100 $ le baril), suivie immédiatement d’une chute brutale à 50 $. En 2017, après avoir chuté de façon drastique (40$ en 2010), le cours est remonté à 50$, puis à 65$ en Juin 2018.

Par conséquent la question du devenir de ces villes est plus que jamais pertinente. Les allochtones ne sont que de passage, en quête d’une meilleure situation (logement, salaire). La population est fluide (60% des résidents restent moins de 5 ans) ce qui entrave le processus d’appropriation de l’espace et exacerbe le mal-être urbain. Que seront devenus ces espaces en 2050? Des espaces ruraux fragiles et abandonnés, des villes fantômes témoins de l’apogée des hydrocarbures devenus dépassés?  Le précédent de Vorkuta, l’immense cité russe du charbon construite à 150 km au nord du cercle polaire, dans le bassin minier de la Petchora (l’un des plus grands de l’ex URSS), est éloquent.   Le charbon, générateur de pollution,  n’a plus la cote. Le combinat ne compte plus que 7 000 salariés contre 45 000 au plus fort de l’exploitation, en 1967 .Sa population ne s’élève plus aujourd’hui (2018) qu’à  60 000 habitants après en avoir connu 216 000 en 1989. Vorkouta est aussi connue pour avoir été le plus grand goulag de l’URSS. Après 1945, de nombreux prisonniers de guerre allemand y furent internés au départ, puis complétés par des prisonniers politiques. L’exploitation se faisait dans des conditions épouvantables (-60°C en hiver, nourriture insuffisante).

Photo 4 –  Logements pour les ouvriers du charbon, non achevés car l’activité est presque finie : il ne reste plus qu’une mine en activité. Tout n’est pas rose dans la toundra…

Mais quel avenir pour le bassin pétrolier et gazier de l’Ob dès lors que la ressource sera épuisée ? Les gens resteront-il prisonniers (logement gratuits, frais très faibles, mais pas d’emplois…) comme à Vorkouta ? Partir ? Ils en ont maintenant la possibilité politique, mais pas les moyens. Les jeunes filles  surtout cherchent à trouver un mari par internet (y compris en France…).

Cependant la Sibérie occidentale possède des espaces toujours cruciaux pour l’approvisionnement énergétique du système-monde et d’autres atouts comme une activité étendue à l’Océan Arctique où passera alors la nouvelle route maritime du Nord-Est (inaugurée par Poutine le 8 décembre 2017) ? La Sibérie occidentale est devenue un enjeu majeur pour la Russie.

 

* Synthèse effectuée dans le cadre d’une recherche scientifique internationale sur le réchauffement climatique.

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