In Memoriam – Alain Huetz de Lemps

In Memoriam

Alain Huetz de Lemps

 

Alain Huetz de Lemps, membre honoraire de notre Académie, vient de nous quitter. Ce brillant professeur de géographie, qui avait été accueilli comme membre résidant par le recteur Renaud Paulian le 22 octobre 1998′, avait en effet demandé à être admis à l’honorariat en 2017, sa santé ne lui permettant plus d’être assidu aux séances de notre confrérie comme il avait coutume de l’être. Ayant été son élève puis devenu son ami, l’admirant beaucoup et ayant de surcroît été reçu par lui au sein de notre Académie en 2008, j’ai infiniment de gratitude envers notre président et notre secrétaire perpétuel pour m’avoir demandé de prononcer son éloge funèbre au sein de notre Académie.

Né en 1926 à Bourges, il était le fils d’un brillant agrégé d’histoire qui avait occupé des postes notamment à Versailles et Paris avant de s’installer aux Sables-d’Olonne, ville à laquelle Alain Huetz de Lemps était très attaché. Après ses études en Sorbonne, il avait été reçu premier à l’agrégation de géographie en 1949 et n’avait plus alors cessé de parcourir le monde, choisissant d’abord un poste à Alger puis devenant en 1952-1953 lecteur de français à l’université d’Auckland, en Nouvelle-Zélande, ce qui l’amena à la fois à parcourir le monde du Pacifique, allant notamment en Nouvelle-Calédonie, aux Fidjiet en Australie, et à publier dès l’année suivante dans la collection Que-sais-je deux ouvrages destinés à mieux faire connaître à nos compatriotes cet espace géographique: Australie et Nouvelle-Zélande et L’Océanie française.

Il ne cessa ensuite, comme je vais le montrer, d’ouvrir de nouveaux horizons mais revenu des antipodes, sur les conseils de ses professeurs de Sorbonne, Roger Dion et Georges Chabot, il se tourna d’abord vers l’Espagne, devenant pendant deux années (1954-1955) pensionnaire de la Casa de Velazquez. Il avait en effet déposé sous leur direction un sujet de thèse sur une vaste question alors à peu près totalement inconnue : l’étude des vignobles et des vins du nord-ouest de l’Espagne, travail qu’il soutint et publia en 1967,ceuvre majeure à la fois parce qu’elle fait connaître l’importance de ces productions viticoles et cela du Moyen Age à nos jours, et parce qu’elle révèle un modèle totalement différent de celui qui prévalait alors grâce à Roger Dion: ici, les vignobles ne sont pas alignés le long des vallées fluviales et ne profitent pas des possibilités de transport qu’elles offrent; au contraire, le commerce du vin est perpendiculaire aux vallées fluviales et se fait au moyen de bêtes de somme, en direction de la côte Cantabrique’. C’était une rénovation totale de l’étude du commerce des vins; c’était aussi le premier grand travail consacré à la géographie et à l’histoire du commerce viticole en Espagne.

Comme la plupart des universitaires, il avait mené ses recherches er sa rédaction tout en enseignant. Il avait en effet été appelé en 1956 par le doyen Papy comme assistant à l’Institut de Géographie de la Faculté des Lettres de Bordeaux, institut où il fit toute sa carrière y devenant successivement maître- assistant en 1961puis professeur de 1969 à 1991. Il fut un excellent enseignant, d’une parfaite clarté et d’une grande rigueur scientifique, très apprécié des étudiants car il savait rendre parfaitement assimilable les domaines qu’il abordait. C’est ainsi que ses cours de climatologie avaient un très grand succès, alors qu’il s’agit d’un domaine difficile.

Ses recherches personnelles eurent pour axe principal la géographie et souvent l’histoire des boissons. Dans ses nombreux voyages, il ne cessa d’en découvrir et de les connaitre donnant en 2001 un ouvrage de référence: Boissons et civilisations en Afrique. Il n’en restait pas moins fidèle aux vins, approfondissant ses recherches sur les vins espagnols, notamment ceux de la Rioja, et sur les eaux-de-vie. Deux faits le marquent : d’une part il fut en 1969 l’un des fondateurs à l’université de Bordeaux du CERVIN (Centre d’études géographiques et historiques sur la vigne et le vin),centre de recherche auquel il collabora très activement, d’autre part il codiriges en 1982 et publia le premier colloque sur Les eaux-de-vie et spiritueux. Une autre publication très innovante qu’il dirigea, fut en 1977 la Géographie historique des vignobles.Il faut également citer Les restaurants dans le monde(1990) »./Histoire du rhum (1997)’,celle de l’histoire de la société et de la famille Hennessy (1998) ».Notons au passage qu’il dirigea souvent colloques et ouvrages en collaboration, car l’une de ses grandes qualités était qu’il collaborait facilement et sans nuages avec ses collègues.

Ce magnifique ensemble de travaux lui valut renommée et respect parmi ses collègues. I fut donc co-directeur des Cahiers d’Outre-Mer de 1980 à 1991, président de la section de géographie du Conseil supérieur des universités (1979-1981) et du Comité français de l’Union géographique internationale (1988-1992), et honoré de l’Ordre national du Mérite.

Nous ne saurions nous en tenir au rappel de ses remarquables recherches et de sa brillante carrière: il nous faut aussi évoquer l’homme très attachant qu’il fut. Son allure frappait car très élancé et toujours habillé de manière sobrement élégante, il y ajoutait une bienveillance naturelle qui l’amenait à toujours être disponible pour ses interlocuteurs, et d’abord bien sûr pour ses étudiants. L’homme était sans détours,à la fois d’une droiture totale et d’une solidité sans faille comme on le vit en toutes circonstances. Avec une manière naturellement distanciée d’aborder les problèmes. Peu de personnes ont été aussi étrangères aux intrigues et manoeuvres souterraines au point qu’il lui arriva malheureusement d’en souffrir,par exemple pour la direction de la Casa de Velazquez ou la présidence de notre Académie, deux fonctions et dignités qu’il aurait dû occuper mais dont il fut évincé. Il fut aussi un homme de fidélité, fidélité à ses traditions familiales, à notre évolution historique, aux grandeurs et acquis de notre civilisation. Parmi les formes que prit cet attachement à ce qui avait été et méritait d’être gardé, y eut ce lien indissoluble dans ses travaux entre la géographie du monde présent qu’il s’était attaché à faire connaître, et les racines historiques des questions géographiques, d’où son attachement à la géographie historique. Il y eut aussi ses passions de collectionneur car il fut un inlassable rassembleur d’objets dignes d’être conservés: sa fabuleuse collection de mortiers en est sans aucun doute le meilleur exemple.

Il fut aidé en cela par son épouse Nicole qui, par ses origines espagnoles, fut naturellement amenée à l’aider dans ses recherches à travers les campagnes du nord-ouest de l’Espagne puis dans ses travaux ultérieurs. C’est ensemble qu’ils parcoururent leur vie, c’est ensemble qu’ils multiplièrent les voyages qui étaient autant de voyages d’étude dont elle prenait sa part, et nous sommes donc très honorés de sa présence parmi nous aujourd’hui.

Ils communiaient dans un même amour pour notre pays voisin et ami, où ils se rendirent si souvent, et auquel Alain Huetz de Lemps consacra à la fois une Géographie de l’Espagne qui fit autorité et reste un ouvrage de référence, tout comme son Economie de l’Espagne », plusieurs fois rééditée, ainsi que son dernier livre, Le siège de l’alcazar de Tolède ». C’est en Espagne, dans cette ville de Madrid qui leur était si familière et si chère, qu’ils assistèrent tous deux, le 1 décembre 2022, à une apothéose exceptionnelle pour un universitaire, lorsque fut remis à Alain Huetz de Lemps, dans la majestueuse salle de l’Ateneo plein à ras bord, la traduction en castillan-enfin -de ses Vignobles et vins du nord-ouest de l’Espagne, dans une présentation d’une qualité hors du commun, sa grande thèse constituant ainsi le premier ouvrage d’une série à venir consacrée à l’histoire et à la géographie des vins espagnols.
honore tous.

Parmi ses titres, il fut alors indiqué qu’il était membre de notre Académie, ce qui nous honore tous

Jean-Pierre Pousso